L'ACTE CONJUGAL : SPONTANEITE ET MAITRISE
Introduction
Le corps humain est le lieu par excellence de l'expression du sujet. Chacun de nous se connaît et apprend à connaître autrui et le monde à travers l'unité de son être corporel et spirituel. Si nos contemporains acceptent aisément une certaine transcendance de l'être humain par rapport au monde, celle-ci ne réside pas uniquement dans l'esprit ou la raison. Surtout dans l'amour, l'homme est « un » et connaît l'être aimé « par » et « dans » l'unité personnelle qu'il « est ». Distinguer et séparer les éléments de cette unité est possible et diverses sciences s'y emploient par méthode. Mais si la distinction aboutit à une stricte séparation, nous réduisons l'harmonie de la vie amoureuse de l'homme et son mystère : les significations de ses actes et de ses paroles s'obscurcissent ou subissent une éclipse. Cet enjeu est particulièrement « visible » dans l'acte conjugal. Proches et distants en leur corps singulier, les époux y éprouvent la gravité de leur amour. Pourquoi et pour qui se donner de manière si entière, si intime ? Quelle est l'originalité de cet acte que toutes les cultures et les religions entourent d'une valeur inestimable ? Pourquoi renoncer au plaisir sexuel, maîtriser son désir. Au nom de « qui », de « quoi » parler d'abstinence ou de continence périodique dans la vie conjugale. Cette problématique concerne la vérité du dessein Créateur.
Cherchons à clarifier le sens de l'acte sexuel singulier, posé à l'intérieur du lien conjugal.. N'est-il pas le lieu où confluent désirs, passions, conflits ? Les époux y éprouvent plaisir et joie. Il est aussi un carrefour moral incontournable : la liberté de l'homme et de la femme y est engagée à plus d'un titre. Poser l'acte conjugal ou y renoncer reste un défi moral pour les couples : le respect, la tendresse, l'ouverture gratuite à l'enfant n'acquièrent un sens que dans l'amour promis et mis en œuvre jour après jour. L'originalité de l'union conjugale réside dans sa double signification « unitive et procréative » présente chaque fois qu'il est posé, dans les intentions des sujets qui le posent et les conditions dans lesquelles ils le vivent. Le respect des significations « unitive et procréative » implique parfois le renoncement à l'exercice de l'acte conjugal. Des méthodes d'auto observation du corps de l'épouse donnent un rythme de continence périodique aux expressions amoureuses des époux. La compréhension de la portée de leurs actes est pour une plus grande noblesse et dignité des personnes qui s'y engagent et non pas d'abord pour l'affirmation d'une norme extérieure et formelle.
La beauté de l'acte conjugal
Sa grandeur et sa puissance se révèlent dans l'union intime de l'homme et de la femme. Il les unit aussi en Dieu et à Dieu. Sa puissance créatrice peut en faire le berceau d'une vie nouvelle et rend les époux contemporains de l'acte créateur. Ils sont procréateurs. Le Concile Vatican II s'exprime en ces termes : « La sexualité conjugale est l'expression du don définitif que le conjoint fait de lui-même à l'autre et ainsi elle affermit et alimente entre les époux une communion d'amour totale et indissoluble. C'est à cause de sa vérité intime que la sexualité conjugale est appelée, précisément dans l'acte conjugal spécifique de l'union des époux, à une « participation spéciale dans son œuvre créatrice elle-même (de Dieu) » (Gaudium et spes n°50,1) ». La tradition chrétienne a toujours compris l'acte conjugal et la mission des époux sous la forme d'une collaboration à l'action créatrice de Dieu.
Le don spirituel et charnel des époux se dit toujours dans un acte à double signification : unitive et procréative. La possibilité technique des procréations artificielles oblige à ajouter qu'il ne peut être posé par d'autres : il ne peut pas être délégué. Il fait ce qu'il dit : il est performatif tout en n'étant pas toujours performant d'un point de vue biologique, c'est-à-dire à la source d'une vie nouvelle. L'amour conjugal conserve, exprime, développe et fortifie la double signification de l'union conjugale. Il lui permet de rester la « matrice » de tout nouveau don mutuel des époux. Il est le gage de la fécondité du couple.
Cet amour commence par la reconnaissance mutuelle de l'homme et de la femme comme « don l'un pour l'autre ». Il comporte l'acceptation joyeuse de l'autre dans sa différence. Comment entrer dans cette relation de liberté sinon par le cœur? Le cœur est offert dans l'union conjugale où le corps signifie tout l'amour livré. L'époux et l'épouse se découvrent mis ensemble dans leur corps -masculinité et féminité- et jusqu'au corps à corps de la relation conjugale. Se donner à l'autre en son corps, c'est faire l'épreuve et la preuve d'une maîtrise de soi aimante et confiante. Une communion surgit des libertés qui se donnent dans la parole et dans le corps tel qu'il est. La fatigue, la maladie, les peurs comme la passion, la tendresse, le plaisir sont éprouvées par des personnes qui s'offrent librement telles qu'elles sont, dans l'espérance d'une communion et promue aussi par celle-ci. Tous ces sentiments s'attestent dans l'acte conjugal mais aussi dans son abstention par amour du conjoint. Si l'homme et la femme sont complémentaires, ce n'est pas seulement d'un point de vue biologique ou psychologique. Leur complémentarité est personnelle et demande un don libre et maîtrisé de soi. Ni l'un ni l'autre ne peuvent trouver leur identité, leur bonheur, aux dépens de l'autre. Dit autrement, il ne suffit pas de se refuser ou de livrer son corps: il faut se livrer en son corps. Le sexuel est et doit devenir personnel. Le sexe est « l'altruisme greffé dans notre chair » dit M. Zundel. Cet abandon sans conditions de l'être personnel est critère de vérité de la relation conjugale. L'acte sexuel n'est conjugal que s'il se vit dans l'écrin d'une promesse réciproque.
Un enseignement moral
La réflexion concernant l'acte conjugal s'est toujours faite en lien avec les découvertes scientifiques, le déploiement de toutes les richesses sacramentelles du mariage, la mise en évidence de la responsabilité des époux et des parents. Nous croisons ainsi les thèmes de la parenté responsable et de la régulation des naissances. La fécondité du mariage et la régulation des naissances sont deux données distinctes mais inséparables. C'est dans cet horizon que se vit ou non l'abstinence de l'acte conjugal à certaines périodes. La fécondité marque l'épanouissement et le fruit naturel du mariage. La nécessaire régulation des naissances exprime les limites de la créature humaine : physiques, économiques, affectives, psychiques, morales et spirituelles. La procréation atteste dans l'humanité la capacité physique d'engendrer et le besoin de se reproduire, car sa finitude est marquée par la mort, de génération en génération. Depuis de nombreuses années, l'Eglise catholique a élaboré un enseignement anthropologique, moral et spirituel sur la relation conjugale et parentale. Soulignons quelques étapes de cette réflexion.
Au Concile Vatican II
Pour les Pères conciliaires, Dieu est maître de la vie et la sexualité humaine a ses caractéristiques propres : Les actes spécifiques de la vie conjugale, accomplis selon l'authentique dignité humaine, doivent être eux-mêmes entourés d'un grand respect. Lorsqu'il s'agit de mettre en accord l'amour conjugal avec la transmission responsable de la vie, la moralité du comportement ne dépend donc pas de la seule sincérité de l'intention et de la seule appréciation des motifs; mais elle doit être déterminée selon des critères objectifs, tirés de la nature même de la personne et de ses actes, critères qui respectent, dans un contexte d'amour véritable, la signification totale d'une donation réciproque et d'une procréation à la mesure de l'homme; chose impossible si la vertu de chasteté conjugale n'est pas pratiquée d'un cœur loyal (51,3). L'amour conjugal s'exprime dans une paternité responsable et dialoguée. Il est le critère ultime. Les intentions subjectives, les sentiments et les motifs variés des époux ne suffisent pas pour fonder le renoncement ou l'exercice de l'acte sexuel. La valeur et la bonté de l'acte conjugal sont mesurées par un critère objectif qui transcende les intentions : une vision spécifique de l'homme et de sa sexualité. La condition naturelle et corporelle, la dignité inscrite dans les personnes, l'abandon et la confiance dans la Création mesurent la vérité de l'amour conjugal et la justesse des comportements des époux. Quelle est la vérité de cet amour ? Le respect de la relation conjugale comme donation totale et réciproque et l'ouverture à une procréation digne de l'homme.
Dans « Humanae vitae »
Paul VI précise la doctrine dans l'encyclique Humanae vitae (25 juillet 1968). L'indication morale s'énonce de la manière suivante: L'Eglise, rappelant les hommes à l'observance de la loi naturelle, interprétée par sa constante doctrine, enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie humaine (11). La réflexion ne porte pas sur le mariage pris en général ou comme institution juridique ou bien comme « profonde communion de vie et d'amour » mais sur l'expérience et le sens véridique de la vie conjugale et de son acte particulier.
Cette doctrine, plusieurs fois exposée par le magistère (selon laquelle tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie) est fondée sur le lien indissoluble, que Dieu a voulu et que l'homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l'acte conjugal: union et procréation (12). L'argumentation porte sur la nature de l'acte conjugal. En effet, par sa structure même, en même temps qu'il unit profondément les époux, (il) les rend aptes à la génération de nouvelles vies, selon des lois inscrites dans l'être même de l'homme et de la femme. C'est en sauvegardant ces deux aspects essentiels, union et procréation, que l'acte conjugal conserve intégralement le sens de mutuel et véritable amour et son ordination à la très haute vocation de l'homme à la paternité.
Le mot signification est « essentiel » à plus d'un titre. Par sa structure intime, son organicité, - non pas biologique seulement -, l'acte conjugal en même temps qu'il unit profondément les époux, les rend aptes à la génération de nouvelles vies selon des lois inscrites dans l'être de l'homme. Ces « aspects » ne sont pas seulement inscrits dans la nature biologique de la femme et de l'homme, mais dans sa « nature personnelle ». L'encyclique précise le jugement moral sur les moyens illicites de régulation des naissances. Est exclue également toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation. Une dimension nouvelle à l'union conjugale s'élabore : la continence périodique y trouvera un sens.
L'apport de Jean-Paul II
Jean-Paul II insiste sur une compréhension de l'homme comme personne unifiée en son corps qui est « langage », expression privilégiée de son être. La dignité de la personne et sa condition de créature, c'est de se recevoir en son corps et, en celui-ci, de se tourner dans le don de soi vers Dieu, son Père et son Créateur. Si bien que le corps, ses dynamismes spontanés, son langage, deviennent pour la personne un lieu où se déchiffrent rationnellement les motions, l'attirance, l'inclination qui la conduisent vers sa fin. Le corps est le langage dans lequel s'énonce l'ordination de l'homme à sa fin comme à son origine. La vérité du langage du corps et sa signification ultime sont à la fois « sponsales » c'est-à-dire liées au don de soi, et « parentales ». Dans cette lecture phénoménologique de l'amour personnel, l'acte conjugal ou le renoncement à ce dernier acquiert une dimension « communionnelle » et « communicative ». C'est l'acte par lequel les époux se disent ou non « quelque chose » de leur amour. Le poser ou y renoncer expriment également, suivant les circonstances et la liberté qui y consent, le don intégral d'eux-mêmes.
Dans l'amour mutuel, l'accueil du conjoint et l'ouverture à l'enfant sont liés. Don de l'amour et don de la vie font un; ils ne peuvent être volontairement dissociés sans détriment de la vie à donner et offense de l'amour partagé. Le don de l'amour, dans la mesure où il se ferme au don de la vie, replie les époux l'un sur l'autre; les « désunit »… S'il demeure ouverture à la vie, il offre aux époux de rester ou de devenir père et mère et de fortifier leur union. Participation à l'amour, coopération libre et responsable, voilà la tâche de l'homme qui est non seulement appelé à une paternité responsable mais qui est nommé « responsable de la paternité de Dieu ».
La sexualité est une valeur. L'enseignement antérieur sur l'acte conjugal est repris, complété et enrichi avec la mise en évidence d'une opposition entre deux anthropologies contraires. Recourir aux divers moyens contraceptifs dans la vie conjugale, c'est se comporter en arbitres du dessein de Dieu, mais plus profondément c'est blesser à la fois la personne humaine et celle du conjoint en altérant la valeur de donation mutuelle et totale de leur amour. Ainsi, dans la contraception, au langage qui exprime naturellement la donation réciproque s'oppose un langage objectivement contradictoire selon lequel il ne s'agit plus de se donner totalement à l'autre. Il en résulte un refus positif de la vie et une falsification de l'amour conjugal. A travers le corps, l'homme dit et fait ce qu'il est. Il peut y avoir falsification ou inadéquation des intentions à ce langage corporel. L'indissolubilité de l'union et de la procréation est le langage juste du don mutuel des personnes est la « phrase » qui dit l'amour personnel, don total et mutuel, signe de l'alliance du Christ et de son Eglise.
Pour éviter bégaiements, maladresses, malentendus, dialogues de sourds, la réflexion humaine a été amenée petit à petit à fixer comme une grammaire, un vocabulaire du langage du corps. Le point de référence est l'unité: le lien indissoluble des deux significations de l'acte conjugal. Ce langage du corps a son objectivité: on ne met pas un adverbe ou un adjectif, un verbe à la place de l'autre. La tâche comme la responsabilité de l'homme et de la femme dans le mariage consiste à assumer cette objectivité du langage de leur propre corps, à la vouloir et à correspondre à la signification donnée. Subjectivement les époux doivent assumer le langage de leur propre corps qui s'étreint. Ils doivent parler ce langage qui est le leur parce qu'il leur a été donné par Dieu, Créateur et Père.
La dissociation volontaire des deux significations blesse la relation conjugale. Elle porte un nom : contraception. Il s'agit donc d'un comportement humain, à l'intérieur du couple, qui dissocie les deux aspects essentiels de l'acte conjugal. La norme morale n'est pas l'expression d'un respect inconditionnel de la nature et de ses processus. Elle est issue du vouloir «vrai» de l'acte conjugal dont l'amour présente toujours les deux significations. Toucher à l'une, c'est toucher à l'autre. Le lien « naturel » n'est pas arbitraire. Il exprime une loi de l'amour conjugal, inscrite dans le corps et que les époux, comme êtres d'esprit fait pour se donner, ont à comprendre et à interpréter et à vivre en leur chair.
Continence périodique ou abstinence temporaire
L'enjeu n'est pas seulement celui d'un interdit ou d'une coutume humaine, d'une simple expression de la chasteté. L'intelligence humaine profondément unie à l'affectivité personnelle, cherche la vérité ultime de ses actes. C'est la beauté et la grandeur de son dynamisme qui s'exprime encore dans ce type de débats. Si les réflexions concernant la contraception se prolongent dans la vie et la conscience des hommes et des femmes, c'est parce que ces questions touchent des points clés dans les relations humaines. L'imaginaire collectif est imprégné d'une sourde inquiétude et parfois d'une culpabilité inconsciente dont une des causes peut être le sens accordé ou non aux expressions de la sexualité. Quelle est la vérité de l'union intime de l'homme et de la femme? Quel est le pouvoir de l'homme sur la conception d'un nouvel être humain? Que fait-il au juste? Dieu est-il présent au cœur de l'amour conjugal et parental? Nos actes nous font-ils du bien ou du mal? Nous transforment-ils? Ces questions sont-elles seulement d'ordre privé, relevant de la conscience personnelle ou bien ont-elles une résonance plus large? Les années qui passent montrent que les réactions et les positions prises dans l'exercice de l'acte conjugal ne concernent pas un épiphénomène de la vie de chacun. Au contraire, tous sont concernés: hommes et femmes, parents et enfants, jeunes et vieux. Ce point de «morale privée» touche la foi chrétienne et l'harmonie de la vie des hommes de bonne volonté.
Définition et interprétation de la continence périodique
Quelles que soient les méthodes utilisées, les couples qui désirent ne pas transmettre la vie sans utiliser de moyens contraceptifs sont invités à mettre en œuvre leur intelligence, la connaissance de leur corps, le dialogue d'écoute mutuelle et leur libre responsabilité. Les méthodes « naturelles » ne s'opposent pas aux méthodes « artificielles » car de part et d'autre, l'intelligence et la science humaine sont convoquées. Il ne suffit pas non plus de suivre des méthodes naturelles pour « faire bien » ou échapper à une mentalité contraceptive. Pour le dire autrement, ce n'est pas la méthode qui confère une moralité à tel ou tel acte. Elle peut y aider. Elle ne définit pas encore la bonté de la continence périodique. Rappelons que l'amour peut se dire dans l'exercice de la relation conjugale comme dans son renoncement. Il nous faut voir si l'abstention d'union conjugale, nécessaire dans certains cas, peut se révéler bonne pour les époux et pour la vie matrimoniale.
En quoi la continence périodique comme comportement est-elle moralement bonne pour des époux qui se sont promis « un droit sur le corps » par le don de l'amour? Par abstention ou par omission? Qu'est-ce qui est librement voulu, difficilement vécu parfois par les époux lorsqu'ils décident d'entrer et de vivre dans cette continence périodique pendant une époque de leur vie conjugale?
Un comportement choisi
S'il est humain et propre à faire grandir l'amour, il convient que cet acte soit librement choisi et assumé par les époux. La continence choisie pour un temps, pour telle période féconde, ne doit pas viser à exclure la signification procréatrice. L'objet moral n'est pas au sens strict négatif. Les époux désirent ne pas poser l'acte conjugal et ce souhait (volitum) est un acte d'amour. Il s'agit de s'abstenir de relations conjugales pour être dans la vérité de l'amour mutuel. Dit autrement, leurs intentions personnelles expriment dans le renoncement une concordance et un accord avec ce qu'ils désirent offrir et donner à l'autre de tout leur corps..
La corporéité est le mode spécifique d'exister et d'agir de l'esprit humain. Elle forme un langage qui est « signification » : il dit l'auto-donation des personnes dans l'acte conjugal. Ce langage du corps existe à l'intérieur des libertés incarnées en présence dans le couple. Celles-ci lui donnent un sens. Il est important que ce sens corresponde au langage du corps. Pareille liaison indissoluble des deux significations exprime une donnée personnaliste fondamentale: le souci de ne pas introduire de division dans la personne et dans l'amour qui s'offre. Il convient dans tout acte conjugal de respecter à l'intérieur du langage corporel la « correspondance » entre le « signifiant » et le « signifié » et d'éviter ainsi toute falsification de la vérité de l'amour conjugal, de sa conversatio. Dans la continence périodique, les époux veulent continuer à dire « en leur corps » ce qu'ils se disent « en leur cœur » : leur amour confiant, total et mutuel, fécond.
Le choix de la continence peut être aidé par la détermination des rythmes de l'épouse. Plusieurs méthodes naturelles existent dans ce domaine. Elles fournissent aux époux la matière de leur décision. Ce ne sont pas les méthodes qui qualifient la moralité de leur conscience et des actes qui posent. Elles ne sont qu'un instrument, de plus en plus adéquat en fonction des progrès de la science. Elles doivent être choisies également selon la personnalité du couple et les désirs de l'épouse. En bref, nous voyons combien la continence est un acte libre, de raison, posé avec l'aide de méthodes adéquates.
Dans Humanae vitae n°12, Paul VI parle de l'acte conjugal et de son « ordination à la très haute vocation de l'homme à la paternité ». Il souligne la responsabilité des époux dans la transmission de la vie. Cette « paternité responsable » est liée à la dignité de l'homme créé. Elle est aussi, dans l'œuvre propre du mariage, une mission : être « responsables de la paternité divine ». Le caractère positif, conscient, libre de cette tâche n'en diminue pas les exigences. Il souligne l'importance et la manière juste de transmettre la vie au cœur de l'acte conjugal.
La paternité responsable ne vise pas d'abord le fait d'éviter ou d'espacer les naissances. Elle ne cherche pas non plus à n'avoir que les enfants voulus et désirés. Elle s'ouvre au projet d'amour de Dieu de faire advenir dans l'être de nouveaux êtres humains pour toujours. Les époux participent au surgissement radicalement neuf de nouveaux enfants de Dieu. Ce surgissement est « ordonné » à Dieu, pour sa gloire. Ces enfants conçus existent pour l'éternité. L'élan qui pousse les époux à s'unir comme « collaborateurs libres et responsables » est porteur de vie et d'amour. Cette responsabilité s'exerce aussi dans certaines conditions sous le mode de la continence.
L'abstention de relations sexuelles comporte en raison la décision de ne pas générer d'enfants et aussi de ne pas falsifier le langage de l'amour dans l'acte conjugal. Il s'agit donc pour les époux, en accord profond, de réguler la naissance des enfants au sein de leur famille tout en respectant les significations de l'acte conjugal. Dans la manière de s'unir ou de ne pas s'unir, les époux visent à rester toujours ouverts au dessein d'amour et de vie de Dieu tel que Lui, comme Créateur, s'est confié à eux. L'abstention de relations conjugales peut donc signifier également l'amour. Si elle est librement choisie, elle est un acte d'amour parce qu'elle correspond à la confiance que Dieu a mise dans la libre responsabilité des époux. La continence est aussi un langage de l'amour. Les époux doivent apprendre à le parler, à s'enrichir de leurs expériences, à en partager les significations corporelles, psychologiques, spirituelles pour eux-mêmes et pour leur famille. La volonté de respecter l'acte conjugal dans son intégrité de significations sera confirmée par les nombreuses expressions de la fécondité de leur amour. Car l'amour peut s'enrichir et garder toute sa fécondité de don dans l'acte conjugal comme dans son renoncement libre et raisonné.
Nous le voyons: il existe une différence d'objet moral entre la volonté de rendre les actes inféconds (contraception) et la volonté de respecter la vérité intégrale de ces actes. La régulation des naissances qui comporte la connaissance et le respect des deux significations de l'acte conjugal appartient à la libre responsabilité des époux éclairés par la promesse d'amour sacramentelle et par le dessein créateur de Dieu.
Des carrefours délicats
La prise de conscience commune
Le couple, par définition, est formé de deux personnes qui ont chacune leur jugement, leur aventure spirituelle, leur conscience. Le dialogue conjugal est important et concerne tous les domaines de la vie. Ensemble, les époux ont à se former un jugement et à discerner les conditions favorables à l'avènement à l'existence d'un nouvel enfant. « Ce jugement, ce sont en dernier ressort, les époux eux-mêmes qui doivent l'arrêter devant Dieu » (GS n°50,2). Bien sûr, la conscience doit se former et se conformer à la loi divine. La moralité est déterminée « selon des critères objectifs » (GS n°51,3). Ces conditions que nous avons déjà déployées sont rendues plus délicates dans un couple puisque l'acte posé l'est ensemble. « Il convient encore d'avoir présent à l'esprit que, dans l'intimité conjugale, sont impliquées les volontés de deux personnes, mais qui sont appelées à se comporter et à penser en harmonie: cela demande beaucoup de patience, de sympathie et de temps » (Familiaris Consortio n°34).
En ce qui concerne le rapport conjugal, le dialogue entre les époux est plus ou moins intense. Si les époux ont peu réfléchi ensemble sur la manière d'accueillir l'enfant et de prendre la responsabilité de la transmission de la vie, il leur sera difficile de se mettre d'accord sur le sens d'une abstinence commune et sur un mode de régulation. L'homme peut laisser le poids de la décision uniquement à sa femme et exiger d'elle une disponibilité de tous les instants. La femme peut décider seule des moyens de sa contraception sans impliquer son mari dans la connaissance de son corps et la décision prise. Les époux ne sont pas toujours libres l'un vis à vis de l'autre dans ce domaine. En tenir compte est nécessaire dans les avis et conseils à rendre, ainsi que dans le cheminement graduel vers le bien visé.
Vivre la relation conjugale en période infertile a-t-il un sens?
La fécondité ne se mesure pas à la fécondation ni à la procréation de l'enfant. Elle englobe toute la personne. Si le couple ne dissocie pas de lui-même le lien entre les deux significations de l'acte conjugal, celui-ci reste à la mesure de la vérité des corps et des personnes, une relation qui unit et qui procrée. Celle-ci reste ouverte à toute la réalité de l'autre comme époux et père, épouse et mère. L'acte conjugal « reste ordonné à exprimer et consolider l'union des conjoints »(HV n°11). Un couple qui ne peut concevoir d'enfants ne doit pas pour autant renoncer à l'union sexuelle. Il doit pouvoir saisir la relation conjugale comme le lieu d'une tâche humaine qui se poursuit jusqu'à la fin : par elle, la femme enfante l'homme à lui-même (et réciproquement). Le lien qui les unit, les rend l'un pour l'autre « enfant de l'amour fidèle ». Jean-Paul II exprime d'une magnifique manière cet élan transformant et créateur: L'homme et la femme «redécouvrent, pour ainsi dire, chaque fois et de manière particulière, le mystère de la création et retournent ainsi à cette union dans l'humanité («chair de ma chair et os de mes os») qui leur permet de se reconnaître réciproquement et, comme la première fois, de s'appeler par leur nom. En un certain sens cela signifie revivre l'originelle valeur virginale de l'homme qui émerge du mystère de sa solitude face à Dieu et au milieu du monde. Le fait qu'ils deviennent « une seule chair » est un lien puissant établi par le Créateur à travers lequel ils découvrent leur propre humanité, soit dans son unité originelle, soit dans la dualité d'une mystérieuse attraction réciproque» .
Par l'union conjugale, Dieu fait entrer progressivement les époux dans son propre regard. L'union purifie et fortifie. Elle est le lieu d'une tâche humaine: par elle, la femme engendre l'homme à lui-même et réciproquement. Les époux apprennent à voir l'autre, l'enfant et le monde avec les yeux même de Dieu qui a créé le monde et qui continue à le créer. Si l'enfant ne peut surgir d'une telle relation, il y reste toujours au cœur par sa signification inaliénable. Le regard transformé des époux les enfantent l'un à l'autre à leur identité masculine et féminine. Chacun est rendu à la source de son être dans l'espérance d'être l'enfant pour lequel et par lequel l'amour existe toujours. La fécondité de l'amour tourne le regard au-delà de l'enfant de sa propre chair, pour entrer dans la contemplation de la vie personnelle. L'union conjugale témoigne toujours d'une « mystique de la création » de la personne. S'il est vrai que le regard positif d'autrui nous transforme, cette expérience est radicale au sein de la relation conjugale vécue dans le plan et sous le regard de Dieu. Chaque union peut être re-création de l'autre à qui tout est donné et offert gratuitement. Dans ce contexte, l'abstinence n'a de sens que par l'amour qui unit les époux et leur donne de s'aimer ainsi dans la relation conjugale.
BIBLIOGRAPHIE
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Alain MATTHEEUWS DANS M. MARZANO, DICTIONNAIRE DU CORPS, PARIS, QUADRIGE/PUF, 2007, P.4-8.