Qui est-il cet embryon ? Qu'est-ce que ce « corps embryonnaire » ?
De nombreuses questions bioéthiques passent par ce « carrefour » où notre intelligence et notre cœur sont convoqués pour élaborer une réponse à ces questions. Nous le savons également : ce « carrefour » est un lieu de souffrances pour de nombreux couples touchés par la stérilité ou par des questions complexes et délicates sur la santé et la guérison de leurs enfants ou de leurs futurs enfants. Si pour l'embryon humain, il ne s'agissait que d'un matériau biologique, extérieur à notre corps et étranger à la symbolique humaine, nous pourrions l'utiliser à bon escient pour de multiples usages en gardant à l'horizon le désir de faire le bien. Mais s'il est « autre chose » à la fois de plus proche et de plus lointain que nous, la manière de le traiter devient un carrefour éthique incontournable. Est-il une fin ou un moyen pour notre réflexion, pour notre recherche, pour notre agir ? Représente-il un « autre » que nous, égal en dignité, malgré les apparences corporelles fort différentes qu'il revêt pour l'œil humain et malgré nos considérations socioculturelles ?
Prenons le langage de la théologie pour cerner son mystère et l'approcher. Comment rendre compte ultimement qu'un nouvel être humain puisse surgir dans l'univers sinon par un acte créateur de Dieu lui-même ? L'infiniment grand comme l'infiniment petit appartiennent au Créateur qui est présent au mystère de ses créatures. N'est-il pas immanent à toute chose, et certainement à tout être vivant ? Pour le chrétien, la Création est un acte gratuit de Dieu. Dieu fait alliance avec ce qu'il crée : il établit un lien personnel et gracieux entre l'être humain et lui. Tout être humain à son origine est précédé d'une bienveillance divine qui le fait être et vivre, qui le met en alliance avec Dieu. Le Concile Vatican II s'exprimait ainsi : «L'homme est la seule créature sur terre que Dieu a voulu pour elle-même » (Gaudium et spes n°24). Jean-Paul II exprimait ainsi cette assurance : « la genèse de l'homme ne répond pas seulement aux lois de biologie, elle répond directement à la volonté créatrice de Dieu, c'est-à-dire à la volonté qui concerne la généalogie des fils et des filles des familles humaines. Dieu « a voulu » l'homme dès le commencement et Dieu « veut » l'homme comme être semblable à lui, comme personne. Cet homme, tout homme, est créé par Dieu « pour lui-même » ? Cela concerne tous les êtres humains, y compris ceux qui naissent avec des maladies et des infirmités. Dans la constitution personnelle de chacun est inscrite la volonté de Dieu, qui veut que la fin de l'homme soit en un sens lui-même » .
Cette volonté de Dieu n'est pas un concept ni une idée. Il n'existe pas de mini-embryons, de créatures potentielles, des âmes en stock prévisionnel pour d'éventuelles conceptions et procréations. L'amour de Dieu pour ses créatures est personnel. Sa puissance créatrice s'inscrit dans l'histoire humaine à travers des libertés humaines. Cette puissance accompagne donc les actes humains qui permettent la conception d'un nouvel être humain. Que ce soit de manière immanente à l'union des époux, de l'homme et de la femme, ou dans les processus engagés par un biologiste qui opère la fécondation d'un ovule et d'un spermatozoïde. Dieu n'est pas à côté des actes de l'homme qui font surgir un nouvel individu humain. Il n'y a pas non plus comme un « no man's land », de temps ou d'espace, où sa présence serait « absence ».
Dieu est bien présent : il est toujours présent au « corps embryonnaire » qui se forme sous la responsabilité d'autres êtres humains. Il se laisse comme « touché », « guidé » par ces personnes qui conçoivent un embryon, qui mettent les conditions à la fois corporelles et spirituelles à la conception d'un nouvel être humain. Les événements et les actes humains peuvent varier suivant les décisions libres d'un couple, d'un médecin. Mais dès que le « corps embryonnaire » paraît, quels que soient les modalités de son surgissement, nous avons l'assurance que Dieu s'est engagé dans ce corps. Nous ne savons pas « saisir » l'instant de cet engagement d'alliance, mais lorsque nous en prenons conscience, nous saisissons que Dieu n'est pas « ailleurs ». Il est présent au mystère du « nouveau-conçu ».
Il assume de manière paternelle le « corps embryonnaire » de l'être humain, tel qu'il est. N'est-il pas parfois marqué par l'handicap, les mutations génétiques, des défaillances chromosomiques, des faiblesses protéiques, des défauts physiques majeurs qui hypothèquent son temps de vie sur la terre ? S'il est de l'espèce humaine, le « corps embryonnaire » est habité de la présence de Dieu. C'est pourquoi il mérite le respect inconditionnel dû à tout être humain. Les mots qui le qualifient (zygote, morula etc.) décrivent l'état du processus vital, dessinent les étapes de son développement, mais ne disent pas la radicalité du mystère de son être.
De même la manière dont il a été conçu, peut être variée et inadéquate : elle ne nie pas sa réalité personnelle en train de s'exercer petit à petit ni la dignité qui lui est propre et qu'on ne peut pas nier sans le blesser et sans nous blesser dans notre dignité d'homme. Il est bon de comprendre la mesure de toute conception pour essayer de correspondre à ce qui surgit ainsi comme « tout neuf ». Ainsi, il est normal pour l'anthropologie chrétienne, d'affirmer que le « berceau anthropologique » de l'être humain ne peut pas être n'importe quel acte. A la bonté de l'acte créateur doit correspondre la bonté d'un acte d'amour conjugal, d'un homme et d'une femme liée par une promesse d'amour. A la bonté et à l'innocence d'un nouvel être humain doit correspondre la beauté et la grandeur d'un acte conjugal « posé par amour ». Si l'homme et la femme sont créés « à l'image et à la ressemblance » de Dieu, il est bon qu'ils posent les gestes corporels et sexués propres à accueillir tout nouvel être humain qui sera lui-aussi « à l'image et à la ressemblance » du Créateur.
Cette logique interne de l'amour créateur est inscrite dans l'histoire des corps personnels. Respecter le corps de l'être humain, à tous les âges de la vie, c'est toujours honorer la promesse de l'alliance. Toucher le corps de l'homme, c'est toucher l'homme car le corps, c'est la personne déjà visible. Le corps garde et manifeste l'être personnel au-delà des mesures du temps que nous pouvons en faire (l'instant « t » de l'animation ?). Sans les mots du corps, que saurions-nous de « celui qui vient d'être conçu » et aussi de ceux qui l'ont conçu ? Le « corps embryonnaire » nous dit l'existence d'un mystère personnel que nous pouvons appréhender par la raison et par le cœur, sans pouvoir mettre la main totalement sur lui. Si la grammaire et le vocabulaire du corps changent suivant les âges de la vie, ce n'est pas une « pauvreté » ni une « défaillance » : c'est une richesse liée à la personne dont l'histoire est sacrée depuis les premiers instants de son existence jusqu'à sa disparition à nos yeux de chair à sa mort.
L'interprétation de ce qu'est la personne en son corps ne peut pas être réduite à des critères purement scientifiques ou même philosophiques. La personne se dit « en son corps », mais nous avons, en toute liberté, à saisir qui elle est à tout instant, sans la réduire « aux apparences qu'elle donne d'elle-même ». Dès sa conception, l'être humain nous rappelle une vérité : l'homme ne se réduit pas aux apparences qu'il donne de lui-même. Son corps dit qui il est, mais renvoie toujours à celui et à ceux qui lui ont donné « corps dans l'histoire ». L'embryon dit toujours, en son corps tel qu'il est et tel qu'il se développe, une « totalité intérieure et extérieure » plus grande que ce que nous pouvons en percevoir. Cette richesse qui définit son mystère, dit « déjà », pour qui sait « voir et comprendre », qu'il est une personne.